Le Mahâbhârata

de Jean-Claude Carrière et Jean-Marie Michaud

Livre 150 (roman graphique/ BD): Le Mahâbhârata de Jean-Claude Carrière et Jean-Marie Michaud aux éditions Hozhoni (446 pages) (2019) 🇫🇷 Lecture de janvier 2021

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Résumé de 4e de couverture :

« Une BD événement inspirée de l’immense épopée indienne du Mahâbhârata.
Longtemps méconnu en Occident, le Mahâbhârata est le plus long poème composé au monde. Écrit en sanskrit et initié au IVe siècle avant notre ère, enrichi pendant 700 ans, il est quinze fois plus long que la Bible et défie l’imagination par sa complexité. Cette épopée foisonnante et démesurée est à l’origine de mille croyances et légendes qui irriguent l’âme indienne et inscrivent le Dharma, la loi qui régit le monde, au cœur des hommes. Ce  » grand poème du monde  » raconte la longue et furieuse querelle dynastique qui opposa deux clans de cousins. Il compte seize personnages dont Krishna, avatar divin descendu sur terre, qui apparaît là pour la première fois dans la mythologie indienne. C’est lui qui apporte la Bhagavad-Gîta où il exprime l’amour divin pour l’homme. Le récit qu’en a tiré Jean-Claude Carrière pour Peter Brook a conduit à la création d’une monumentale pièce qui fut reprise partout dans le monde pendant trois ans. Aujourd’hui, le talentueux dessinateur Jean-Marie Michaud se saisit de ce récit extravagant et romanesque pour en faire une extraordinaire adaptation graphique, fruit de trois ans d’un travail acharné et ininterrompu. »

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Mon avis :

J’aime énormément l’Asie et ses récits épiques foisonnants qui imprègnent la culture des peuples de différents pays. Dès sa sortie, cette adaptation de la fresque indienne Le Mahâbhârata a suscité ma curiosité, puisque je n’avais encore jamais eu l’occasion de découvrir cette histoire peu adaptée et accessible aux Occidentaux.

Je connais beaucoup mieux les récits de la Chine ancienne qui ont baigné mon enfance et j’admets volontiers mon ignorance sur les récits indiens. Pourtant, j’ai eu l’occasion de m’imprégner de la culture indienne et de l’hindouisme lors de mes études de géographie. En effet, pour un de mes concours, j’ai travaillé pendant deux ans sur l’Union indienne. Mosaïque linguistique (1600 langues dont presque 400 seulement répertoriées), géographique (29 États actuellement et 7 territoires indépendants), ethnique (revendications territoriales multiples) et religieuse, elle est pourtant unie quand il s’agit des traditions culturelles (fêtes, castes, récits mythologiques) qui inondent tout l’espace public et privé. C’est une autre manière de penser qu’il est parfois difficile de comprendre quand on n’est pas immergé dedans.

Pourtant, Jean-Claude Carrière a réussi le pari de rendre cette fresque de plus de 5000 pages compréhensible et accessible à un public néophyte. Après une pièce de théâtre, un livre sur le sujet, il a eu l’idée de la mettre en images, grâce au dessinateur Jean-Marie Michaud. Un travail de trois ans extrêmement bien réussi et fascinant quand on lit ce roman graphique. Un vrai chef d’œuvre qu’il faut saluer tant le résultat est magnifique !

Et l’occasion aussi pour moi de rendre un petit hommage à Jean-Claude Carrière qui a été le passeur de ce récit indien et qui est décédé il y a deux jours à peine. Un grand merci à lui pour cette découverte et ce ravissement à la lecture !

Ma note : 20/20

Les + :

Un éclairage sur la culture indienne : Cette fresque épique apporte beaucoup d’informations sur la culture indienne et l’hindouisme dans lequel baigne encore une large partie de la population indienne actuelle. Il y a aussi des points communs à d’autres religions comme le bouddhisme avec notamment la mention du Dharma qui joue un grand rôle dans l’histoire. Pour ceux qui ne savent pas ce que cela signifie, il s’agit d’un mot polysémique qui renvoie à la loi suprême, l’ordre, le bon comportement qu’il faut avoir dans sa vie. Comme une roue, elle influe sur le destin et la réincarnation des êtres. Dans la mythologie hindoue, elle a une place prépondérante. Dans le bouddhisme, elle fixe aussi des préceptes à appliquer. J’ai pris plaisir à mieux comprendre son rôle dans le destin des personnages dans cette épopée indienne. Ces mêmes personnages qui se côtoient et s’affrontent sont issus de différentes castes qui imprègnent encore aujourd’hui la société indienne. C’est le cas notamment des brahmanes qui sont souvent évoqués et qui constituent la caste guerrière et la plus pure selon les croyances hindoues. Selon cette pyramide de castes, certaines personnes naissent plus pures que d’autres et sont ainsi prédestinées à un avenir plus glorieux. Cela s’explique selon le cycle de réincarnation qui est lui-même défini et influencé par les actes des personnes au cours de leur vie terrestre. Au fil des pages de ce roman graphique, on rencontre aussi de nombreuses divinités qui influent sur le cours des événements et se mêlent aux hommes. C’est le cas notamment de Krishna, avatar ici de Vishnu, qui possède le plus grand rôle dans ce récit, même si Ganesh ou d’autres divinités influent également sur l’histoire. Une belle mise en lumière de la culture indienne, et au-delà même de l’hindouisme souvent méconnu.

Arbre généalogique des personnages du Mahâbhârata

Un paratexte riche qui éclaire le lecteur novice : Loin d’être abscons, le roman graphique est parfaitement dosé dans ses explications des aspects culturels et religieux qui échappent souvent à la compréhension des Occidentaux. Les auteurs ont fait l’effort d’intégrer un paratexte riche au début de la BD, avec un arbre généalogique qui explique la filiation des principaux personnages et leurs liens entre eux. Une très bonne idée qui permet au lecteur de ne pas se perdre parmi les noms des personnages nombreux. De même, les auteurs ont pris soin d’ajouter des explications pour certains aspects plus complexes, des sortes d’exégèses qui permettent d’éclairer le lecteur. Cela fait qu’à aucun moment le lecteur ne décroche ou ne se sent noyé dans une masse de détails compliqués ou ennuyeux. Au contraire, les auteurs ont réussi à parfaitement équilibrr leur récit, sans en dire trop ou pas assez.

Une histoire épique très intéressante : Ces précisions font de ce roman graphique une histoire épique accessible que le lecteur novice peut savourer à sa guise. On y découvre de nouveaux héros qui changent un peu de ceux des mythologies grecques ou romaines dont on a été abreuvés depuis l’enfance. Comme la majorité des récits mythologiques, Le Mahâbhârata est une histoire de querelles familiales et dynastiques. Il m’a fait penser par certains côtés à L’Iliade, par d’autres au récit chinois Les Trois Royaumes. Ici deux clans de cousins s’affrontent : les Pandavas (au nombre de 5) et les Kauravas (au nombre de 100). Tous ou presque ont une ascendance divine et s’affrontent pour le pouvoir et la suprématie, quitte à s’entretuer et à causer la ruine du monde. Loin d’être stéréotypés, les personnages se révèlent très intéressants et dégagent un charisme certain. J’ai beaucoup apprécié la force, la ruse et l’audace d’Arjuna qui m’a fait penser par bien des aspects au Roi Singe du classique chinois La Pérégrination vers l’Ouest. Un adversaire qui semble invincible et qui utilise sa ruse et sa force pour combattre ses ennemis et protéger les siens. La roublardise et l’aveuglement meurtrier de Duryodhana sont aussi très intéressants dans ce qu’il représente : l’obstination et l’acharnement des hommes qui les conduisent à la violence et la folie meurtrière. La raison n’intervient qu’à la fin quand les deux camps ont tout perdu et qu’il est trop tard pour réparer. Le message implicite derrière l’histoire est un message de paix qu’il faut maintenir au risque de finir seul et désœuvré comme Duryodhana.

Des dessins somptueux : Ce qui fait de ce roman graphique un chef d’œuvre, en plus du récit parfaitement bien maîtrisé et expliqué, ce sont les illustrations. Certaines planches sont impressionnantes et dégagent une beauté sans pareille, notamment les scènes de combats. J’ai absolument adhéré au style du dessinateur, à ces tableaux épiques riches en détails, aux couleurs et à la mise en scène méticuleusement utilisées. On ne peut qu’être fascinée en lisant ce roman graphique de presque 500 pages, en appréciant le travail remarquable qui a été ici réalisé. J’imagine très bien ce que peuvent ressentir les adeptes de cette histoire en découvrant cette BD. Quand on aime un récit et qu’on découvre une adaptation aussi réussie, on ne peut être qu’ému et les yeux emplis d’étoiles. C’est ce que j’ai ressenti, sans pour autant connaître ce récit avant sa lecture. Un gros coup de cœur pour l’ensemble de ce récit très justement illustré ! Des dessins à savourer des yeux à la lecture en prenant bien son temps pour bien saisir tous les détails qui échapperaient à une lecture rapide.

Les – :

Je ne vois pas de défaut à ce roman graphique. Le travail est tellement colossal pour rendre cette histoire compréhensible, effacer les parties et détails abscons qu’on ne peut que porter un jugement positif à cette œuvre.

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Bilan :

Une épopée indienne magnifiquement racontée et illustrée. Je salue le travail des auteurs. Pour avoir lu un autre roman fleuve asiatique, je connais la difficulté qu’il y a à adapter et à rendre accessible une fresque épique à un public non initié à la culture, à la religion et à la littérature d’un pays lointain comme l’Inde. Ici le roman graphique est une réussite. Un bijou à lire et à savourer.

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