La Lune est blanche

de François et Emmanuel Lepage

Livre 167 (roman graphique/BD): La Lune est blanche de François et Emmanuel Lepage aux éditions Futuropolis (256 pages) (2014) 🇫🇷 Lecture de février 2021

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Résumé de 4e de couverture :

« L’Antarctique. Le sixième continent. 14 millions de kilomètres carrés. Un dôme de glace enchâssé dans un socle rocheux. Le continent le plus sec, le plus froid, le plus difficile d’accès. Le continent des superlatifs. Le monde des extrêmes. » En 2011, Yves Frenot, directeur de l’Institut polaire français, invite Emmanuel Lepage et son frère François, photographe, à intégrer une mission scientifique sur la base française antarctique Dumont d’Urville, en Terre-Adélie. Le but ? Réaliser un livre qui témoignerait du travail des savants. Yves Frenot leur propose, en outre, de participer, comme chauffeurs, au raid de ravitaillement de la station Concordia, située au cœur du continent de glace à 1 200 km de Dumont d’Urvillle. Le Raid, comme on l’appelle, c’est LA grande aventure polaire ! Pour les deux frères, ce serait l’aventure de leur vie, mais rien ne se passera comme prévu ! »

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Mon avis :

Les frères François et Emmanuel Lepage

Ma passion pour les mondes polaires m’a amenée à découvrir par hasard dans les rayons de ma médiathèque ce roman graphique des deux frères Lepage, l’un dessinateur, l’autre photographe. François et Emmanuel Lepage ont eu la chance en 2013 de pouvoir s’aventurer là où peu de personnes extérieures aux mondes polaires ont l’autorisation de se rendre : l’Antarctique. Ils en ont fait un livre mêlant dessins et photographies.

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Lepage, le dessinateur, se lance dans ce genre d’aventures et de défis. Il a déjà réalisé un livre Voyage aux îles de la Désolation, plusieurs fois mentionné au cours de la lecture de l’œuvre que je vous présente aujourd’hui. Cet ouvrage retrace son périple dans les îles des TAAF, notamment les îles Kerguelen. J’ai très envie de me le procurer, vu mon enthousiasme à la lecture de La Lune est blanche. D’ailleurs, Emmanuel Lepage a également réalisé un incroyable documentaire dessins sur son expérience à Tchernobyl en 2008, intitulé Un printemps à Tchernobyl. Je vous en parlerai prochainement dans une autre chronique. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’à chaque fois l’expérience est véritablement immersive et saisissante.

Si je reviens sur La Lune est blanche, j’ai été absolument fascinée par les pérégrinations de ces deux frères qui m’ont permis d’en apprendre plus sur les missions et les galères de l’Antarctique soumis en permanence aux aléas climatiques. Un documentaire en dessins et en photos de qualité que je recommande grandement. Alors emmitouflez-vous dans un bon plaid et préparez-vous à une aventure à la fois intimiste et grandiose !

Ma note : 19/20

Les + :

Le format documentaire dessins et photos : C’est un des aspects qui m’a énormément plu dans ce roman graphique. L’alternance entre dessins et photos permet d’ancrer le récit dans le réel et de parfaitement retranscrire sous forme de documentaire l’expédition des deux hommes. Emmanuel Lepage nous embarque totalement avec son style de dessin. Il parvient à bien retranscrire les différentes humeurs qui les traversent, son frère et lui, en modulant les couleurs. Certaines planches sont en noir et blanc pour accentuer la détresse et la frustration qui les assaillent à certains moments clefs de leur aventure. Pour les souvenirs et les rappels des expéditions précédentes d’autres aventuriers avant eux, il utilise la teinte sépia qui évoque à merveille la nostalgie et l’admiration pour ces hommes courageux d’une autre époque. En ce qui concerne l’expérience directement vécue sur l’Astrolabe et en Antarctique, il utilise des couleurs vives qui tranchent avec le reste. Je reste subjuguée par certaines planches qui permettent de ressentir toute la beauté de ces espaces reculés. Je vous en partage quelques-unes pour vous inciter à vous procurer ce livre. En parallèle, François Lepage nous offre des clichés sobres mais pertinents qui viennent enrichir les esquisses de son frère et appuyer leurs ressentis vis-à-vis de ces territoires du bout du monde. Je trouve que c’est une magnifique idée d’avoir mêlé leur savoir-faire de cette façon. Le résultat est très convaincant et réussi.

Illustration extraite du roman graphique

La documentation fournie : Outre ce parfait équilibre entre dessins et photographies, il faut mentionner le très beau travail de documentation effectué par les deux auteurs. En effet, ils n’hésitent pas à rappeler aux lecteurs les hommes qui, avant eux, se sont lancés dans ces explorations polaires. Entre autres, ils mentionnent Jean-Baptiste Charcot, Ernest Shackleton, Jules Dumont d’Urville et retracent leurs exploits et leur courage à leur époque. C’est le cas notamment du Britannique Robert Falcon Scott qui est mort avec ses compagnons en revenant du pôle sud, après sa course contre la montre contre le Norvégien Roald Admunsen. Les planches sur ces expéditions passées étaient particulièrement bien réussies. J’ai pris plaisir à me replonger dans l’histoire de ces explorateurs très connus et d’en découvrir d’autres dont je n’avais jamais entendu parler, comme le Belge Adrien de Gerlache de Gomery.

En dehors de ces mentions aux explorations polaires passées, les frères Lepage ont pris le temps d’utiliser un vocabulaire adapté au climat. Ils parlent ainsi de water sky pour désigner un phénomène typique des zones polaires où l’horizon se charge d’une teinte plus sombre sous les nuages bas. Ils évoquent le pack, l’étendue de glace de mer qui empêche d’accéder parfois à la station Dumont d’Urville. Quand ils évoquent les engins du Raid qui s’embourbent dans la neige, ils utilisent le mot « ensouiller ». L’utilisation d’un lexique spécifique permet de s’ancrer un peu plus dans le réel.

Le réalisme brut : Ce que j’ai également beaucoup apprécié à la lecture de ce roman graphique, c’est le réalisme brut qui s’en dégage. Les frères Lepage n’hésitent pas à raconter leurs déboires pour se rendre en Antarctique et à la station Dumont d’Urville. Les conditions météorologiques n’étaient pas véritablement réunies. Les glaces du pack ont retardé l’Astrolabe. Leur voyage a été décalé de plusieurs jours. Sur place, ils ont également subi quelques avaries pour accéder à la station française en Terre Adélie. Ce cumul de retard a entraîné une modification de leurs plans initiaux et de ceux d’autres scientifiques de la partie. Certains ont pu rester seulement une journée sur place au lieu de plusieurs semaines et repartir le lendemain à bord du navire polaire. En effet, avec les retards cumulés, l’Astrolabe peut prendre la décision d’annuler certains de ses trajets entre Hobart en Tasmanie et la station Dumont d’Urville en Antarctique. Les deux frères ont dû faire un choix difficile : rester ensemble pour le Raid et abandonner leur projet d’interroger les hivernants de la station française ou se séparer et faire une aventure différente chacun de leur côté. Finalement, ils ont choisi la première option et n’ont pas l’air de l’avoir regrettée. Enfin, parmi ces détails qui font le réalisme brut d’une expédition telle que celle-ci et qui rappelle la dangerosité de ce territoire hostile, les deux frères ont appris l’accident d’un des engins qui effectuaient des liaisons entre différents lieux en Antarctique. La mort de plusieurs personnes jette un linceul sur leur voyage sur le continent blanc, mais les incite à profiter de chaque instant tout en maintenant leur prudence, une fois confrontés à des conditions de travail difficiles à bord du Raid.

Illustration extraite du roman graphique
Mi-illustrations, mi-photo (extrait du roman graphique)

L’immersion en Antarctique : Dans ce roman graphique, l’immersion en Antarctique est totale avec le double aspect dessins et photographies. Les auteurs réussissent le pari de nous plonger dans leur quotidien, comme si nous étions à leur place. J’ai tellement eu la sensation de voguer avec eux à bord de l’Astrolabe, ou plutôt le Gastrolabe ^^ Personnellement, je continue à penser qu’un bon hamac pourrait résoudre tous les problèmes, au lieu de se ceinturer à sa couche ou de juste se retrouver les quatre fers en l’air. Finis les problèmes d’ingérence alimentaire à bord du navire polaire ! J’ai aimé savourer à leur côté le temps suspendu dans la mer de Somov et Dumont d’Urville quand ils se sont retrouvés bloqués dans le pack. J’ai ressenti la frustration quand le navire polaire a annoncé l’annulation de sa prochaine rotation saisonnière et le rapatriement des scientifiques non hivernants. La station Dumont d’Urville m’a ouvert ses portes en grand avec les magnifiques illustrations d’Emmanuel Lepage. L’île des pétrels a l’air d’être un havre de paix, même si les manchots doivent faire un sacré bruit à proximité. J’ai également été impressionnée par la logistique très bien huilée de la mission du Raid qui sert à acheminer le ravitailler de la station franco-italienne Concordia sur une distance de 3000 km. C’est une file de véhicules motorisés gigantesques qui doivent se coordonner pour avancer, au risque de se retrouver ensouiller dans la neige. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faut être sacrément doué en conduite pour se lancer là-dedans. J’admire le courage des frères Lepage d’avoir voulu tenter l’aventure. Enfin, la découverte de la station Concordia a été une très belle surprise. Je ne connaissais pas du tout son existence. De fait, le livre des frères Lepage a été une incroyable immersion, riche d’enseignements. Une magnifique lecture pour une passionnée de mondes polaires comme moi !

Les – :

J’ai des difficultés à trouver des points négatifs sur ce livre et pourquoi je n’ai pas mis la note maximale. J’aurais peut-être aimé avoir davantage de détails sur la fin de l’aventure des frères Lepage. On les quitte à Concordia assez brutalement. Je partage aussi leur frustration de n’avoir finalement pas pu compiler les expériences des savants et autres personnes en hivernation à la station Dumont d’Urville. Ils y sont à peine restés une journée. J’aimerais beaucoup lire un ouvrage sur les expériences de ces hivernants. Cela doit être fascinant de suivre leur travail pendant toute une nuit polaire.

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Bilan :

Un excellent moment de lecture. J’ai adoré suivre le périple sur l’Astrolabe et l’expédition en Antarctique de ces deux frères photographe et illustrateur. Entre les dessins sublimes, les photos, le rappel d’expéditions passées et les portraits de ces gens qui partent au bout du monde, tout était parfait ! J’ai découvert ce que signifiait Raid en Antarctique et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un sacré périple. Une fascinante lecture jusqu’au bout !

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Pour aller plus loin :

Vous pouvez écouter cette petite interview d’Emmanuel Lepage à la sortie du livre :

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