Révolution, BD T1 : Liberté

de Florent GROUAZEL et Younn LOCARD

Livre 127 (BD) : Révolution, T1 : Liberté de Florent Grouazel et Younn Locard aux éditions Actes Sud (328 pages) 🇫🇷 Lecture d’octobre 2020

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Résumé de 4e de couverture :

« Premier volume de « Révolution », une trilogie sur la Révolution française, « Liberté » ressuscite 1789 en se promenant dans tous les étages de la société. Une fresque grandiose, brassant de multiples personnages et qui totalisera près de 1000 pages. Un livre-événement, par les auteurs d' »Eloi ». »

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Mon avis :

Dédicace de Florent Grouazel aux RDV d’Histoire de Blois 2020

Lors des Rendez-vous d’Histoire de Blois 2020, j’ai eu la chance de découvrir, à la bibliothèque Abbé Grégoire, une magnifique exposition consacrée à la création du premier volume de cette BD sur la Révolution. J’aurais aimé vous recommander de la voir si vous vous rendiez à Blois ce mois-ci. Mais avec le confinement, hélas, ce n’est pas possible. La visite guidée de l’exposition durait une heure et m’a permis de mesurer la somme de travail incommensurable des deux auteurs. Sans cette visite, je ne pense pas que j’aurais autant apprécié ma lecture et remarqué tous les détails qui jalonnent l’histoire. Je reviendrai sur cet aspect au cours de la chronique.

En échangeant avec Florent Grouazel au salon du livre du festival, j’ai pu mesurer tout son talent avec un dessin-dédicace effectué très rapidement. J’aurais aimé parler avec Younn Locard également, mais j’avais une conférence juste après. Je vous laisse en tout cas apprécier le résultat.

Pour les passionnés d’Histoire de la Révolution française, cette BD est une perle, un bijou majestueusement exécuté, qui offre un prisme innovant sur la période et les événements. Car cette BD se veut différente. Elle raconte la Révolution française du point de vue du peuple. Des personnages fictifs côtoient et se mêlent aux personnages historiques, ce qui vient nourrir les réflexions sur la période et apporter une approche multidimensionnelle très intelligente.

Pour les curieux qui aiment les beaux livres-objets, les BD historiques, mais qui ne connaissent pas forcément la Révolution française, cette BD n’offrira pas un cours complet. Elle ne constitue pas un catalogue de toutes les dates que vous avez eu l’occasion d’apprendre à l’école. Mais elle vous fera vivre les événements révolutionnaires autrement. En se concentrant sur certains événements parfois peu connus du grand public, elle apporte un éclairage nouveau sur une période que, pourtant, beaucoup de gens pensent connaître et maîtriser. La Révolution française possède une richesse et une complexité qui sont difficiles à appréhender dans leur globalité, qu’on soit initié ou non à la période. Certains d’entre vous se sentiront peut-être perdus à la lecture de cette BD. Mon conseil serait le suivant : laissez-vous porter par l’histoire, sans chercher forcément à vous raccrocher aux dates ou aux éléments que vous connaissez. Laissez-vous entraîner dans la petite Histoire qui rejoint la Grande. Celle des gens du menu peuple qui se confrontent à la bourgeoisie et à la noblesse. Celle qu’on laisse encore trop de côté au profit des actions des grands personnages. Pourtant, c’est bien le peuple qui fait la révolution. Le peuple dans son intégralité.

Une BD qui mérite son fauve d’or au festival d’Angoulême 2020 par ses qualités esthétiques, mais aussi scénaristiques. Une BD qui introduit une approche très intéressante de la Révolution française. Une approche crue et violente, non édulcorée comme on peut le voir parfois. Je n’ai qu’un mot à dire : vivement les deux prochains tomes !

Ma note : 20/20

Les + :

Des dessins magnifiques et très complémentaires : Une des particularités et des forces de cette BD est la complémentarité des auteurs. En effet, Florent Grouazel et Younn Locard sont à la fois scénaristes et dessinateurs. Ils ne se sont pas répartis les tâches. Les deux dessinent et entremêlent leur style pour un résultat incroyablement réussi. L’un a un style beaucoup plus détaillé et minutieux. Il utilise un trait fin qu’il met au service de détails qui fourmillent sur ses planches. C’est ce style qui époustoufle le lecteur sur certaines planches et lui donne envie de s’attarder sur tous les éléments parfois microscopiques qui font la richesse de la BD. L’autre a un style différent, un trait plus épais, mais ses personnages dégagent un magnétisme, une émotion brute. Cette alternance de ces deux styles complémentaires participent à rendre le dessin vivant et la BD captivante. Il faut aussi mentionner le travail derrière ces planches. Certaines ont parfois été refaites entièrement ou abandonnées. Lors de l’exposition, des planches originales et inédites étaient exposées. De plus, au début, les auteurs pensaient utiliser la colorisation naturelle. Mais, cela leur aurait demandé beaucoup trop de travail, et ne laissait pas de place à l’erreur. Il a donc été décidé de rajouter les couleurs de façon numérique, à la fois pour une question de temps, mais aussi pour harmoniser les deux styles de dessins. Révolution, T1 : Liberté est une BD qu’on savoure lentement, justement pour apprécier à leur juste mesure les dessins des deux auteurs et tous les détails foisonnants.

Planches originales mises en couleurs à la main par les auteurs (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)

Des recherches très poussées : Un autre point fort de cette BD et qu’il faut saluer, c’est le travail impressionnant de recherches en amont de la réalisation des planches. Un travail historique aiguillé par des historiens de la période, comme Paul Chopelin, professeur à l’université Lyon III, que j’ai eu la chance d’avoir comme directeur de mémoire en 2015. Un travail préparatoire que l’exposition met en valeur, en permettant aux visiteurs d’observer quelques esquisses. Les auteurs ont rempli des pages entières de cahiers de brouillon, recensant le style vestimentaire, les gestes, les us et coutumes de l’époque. Je me souviens, pendant l’exposition, d’une planche de brouillon qui insistait sur les détails vestimentaires d’un personnage assis sur une chaise (cf 3e photo ci-dessous). Oui, on en est à ce niveau de détails. C’est vraiment impressionnant. Les auteurs ont également beaucoup travaillé sur le style architectural des rues de Paris et sur la capitale en elle-même. Je pense notamment à la double page qui présente le plan de Paris à l’époque et qui met en évidence le mur d’octroi, souvent oublié. Avec toutes ces recherches et ce travail au niveau du dessin et du scénario, on comprend pourquoi les auteurs ont mis cinq ans pour mener à bien ce projet ambitieux.

Recherches des auteurs sur les personnages (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)
Réflexions des auteurs sur le titre, la couverture de la BD et sur les personnages (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)
Recherches sur les vêtements des personnages au XVIIIe siècle (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)
Planche originale coloriée à la main (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)

Un réalisme cru et violent : Cette masse de recherches historiques en amont et la complémentarité des dessins des auteurs permettent de mettre en exergue un réalisme cru de la période. La misère du peuple de Paris n’est pas édulcorée, au contraire. On suit certains personnages dans les tréfonds de la capitale. Là où la pauvreté exhale toute son horreur. La violence des premiers actes révolutionnaires est abordée sans pudeur. Le sang coule à flot sous la plume des deux auteurs, les têtes volent, les morts trouvent un visage. Tout est montré sans filtre. Une BD qui permet de comprendre comment naissent les révolutions, qu’elles soient passées comme celle-ci, ou présentes. Car partout dans le monde, les révolutions passées servent de terreau aux révolutions futures. Les populations s’en nourrissent, s’en inspirent pour gagner eux aussi leur liberté. Une BD qui offre donc une réflexion très intéressante sur ce qu’est une révolution.

Des choix judicieux dans la représentation d’événements ou de personnages : Enfin, il faut saluer les choix effectués par les auteurs de la BD. Dans une période aussi vaste et riche que celle de la Révolution française, les directions et les approches sont infinies. Mais Florent Grouazel et Younn Locard ont réussi à partager avec justesse leur vision singulière sur la période. Le choix a été de donner un nom aux révolutionnaires, cette foule d’anonymes qu’on a tendance à unifier alors qu’ils ont tous un profil différent. Leur donner une identité, c’est les faire vivre, c’est se mettre à leur place et voir une Révolution française différente, depuis les pavés des rues de Paris. J’ai trouvé le choix de donner une voix aux enfants et aux femmes très bienvenu. J’ai apprécié retrouver la Reine Audu parmi elles, qu’on ne représente pas assez. J’ai également adoré la complexité apportée aux personnages qui ne tombent pas dans un manichéisme trop souvent rebattu. On retrouve cet aspect dans la différence volontairement affichée entre les deux frères Kervélégan. Si Augustin de Kervélégan a véritablement existé, l’autre est un personnage fictif. Si l’un est un révolutionnaire acharné, l’autre s’avère plus modéré. Cette nuance au cœur même de la noblesse permet d’éviter de diaboliser cette classe sociale, comme cela a été si souvent le cas. De même, la position plus modérée d’Abel de Kervélégan apporte un autre point de vue sur les révolutionnaires et leurs idées parfois utopistes. D’ailleurs, notons l’excellente idée d’apporter un éclairage sur les députés bretons du tiers-état avec le personnage réel d’Augustin de Kervélégan. C’est une myriade de personnages différents, conservateurs comme le personnage fictif de Jérôme Laigret ou révolutionnaires, qui émaillent le récit et le rendent si intéressant.

Comme pour les personnages, les auteurs font des choix judicieux quant aux événements révolutionnaires retranscrits dans cette période allant d’avril à octobre 1789. Le récit s’ouvre sur l’affaire Réveillon, pillage de la manufacture réprimée dans le sang. En passant par les préoccupations du peuple pour les prix du grain, les taxes du mur d’octroi, la BD montre des événements rarement mis en évidence, comme l’incendie des barrières d’octroi en juillet 1789. Plus le temps passe, plus la foule devient sanguinaire. On assiste ainsi à la décapitation du gouverneur de Launay dans toute sa violence. L’accent est mis sur les événements de la rue, sur les peurs croissantes, sur la frénésie de la foule qui s’accentue de jours en jours. On arrive ainsi peu à peu jusqu’à la marche des femmes sur Versailles. On les voit dans les tribunes de l’Assemblée à Versailles, image très rare de ces femmes qui se mêlent aux députés. Il y aurait tellement à dire, mais je ne peux pas être exhaustive ici. Et il faut bien laisser un peu de mystères pour que vous puissiez découvrir et apprécier cette BD par vous-mêmes.

Bref, des choix vraiment intelligents et fins qui participent à rendre cette BD originale et fascinante.

Agrandissement d’une planche épique de la BD (exposition bibliothèque Abbé Grégoire, Blois)

Les – :

Le seul défaut que je verrais serait pour des néophytes de la période qui pourraient éventuellement se sentir perdus à la lecture de cette BD, en essayant justement de comprendre tous les tenants et aboutissants de la période. Je l’évoque, puisque je connais quelqu’un qui a eu ce problème à la lecture. Mais comme je l’ai dit plus haut, au lieu de vouloir absolument se raccrocher à des dates ou des événements connus, il faut se laisser porter par l’histoire et accepter même de se perdre dans les méandres des rues de Paris, dans le tourbillon des événements quotidiens, au rythme des Parisiens et des personnages dont on suit les aventures.

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Bilan :

Passionnée par la Révolution française, j’ai adoré le tome 1 de cette BD historique en 3 actes qui entraîne le lecteur dans une Révolution française rarement entrevue. Ici, on vit la Révolution de l’intérieur, à travers le peuple. Démarche rarement entreprise et qui permet d’éclairer le processus de révolution même. Des recherches poussées. Des dessins magnifiques. Un scénario travaillé et fin. Un vrai régal !

5 commentaires

  1. Je confirme effectivement que la BD est incroyable, très bien dessinée et très richement documentée, mais m’a un peu perdu par moments car elle suit beaucoup de personnages et leurs aspirations différentes et mêlées à la fois. C’est intéressant de voir quels personnages sont imaginaires, en lisant ta chronique : je pensais par exemple que les deux jumeaux avaient inventés pour l’histoire, et non pas un seul. ^^ Et je te rejoins sur un autre point notamment : la place des femmes est très grande dans cette BD et durant la Révolution, et c’est appréciable que cela ait été mis en valeur dans cette BD-fresque !
    Merci pour ton ressenti d’historiennne et de lectrice 😀

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